- pignon, vous avez dit pignon ? -

Tout le monde ou presque a déjà entendu passer dans le coin de l'oreille le nom banal et pourtant désormais si familier de François Pignon. Ne cherchez pas, ce n’est pas celui d’un vague voisin avec qui vous auriez discuté un jour ou encore celui d’un homme politique local dont vous auriez aperçu le nom sur une affiche en bas de chez vous. Pignon, c’est en quelque sorte le fils de papier de Francis Veber, le personnage récurrent de sa filmographie et plus largement de sa vie d’auteur. C'est son "monsieur-tout-le-monde". De L’Emmerdeur de 1973 à celui, remanié, de 2008, Pignon est le héros tragi-comique et souvent malheureux de près d’une dizaine de films. Un héros qui a la particularité de changer très souvent de visage : Brel, Auteuil, Villeret, Elmaleh et bien entendu l’incontournable Pierre Richard lui ont tous prêté leurs traits, le plus souvent avec succès. Il revient dans L’Emmerdeur, fidèle à lui-même, avec une question au bout des lèvres : François Pignon est-il encore et toujours ce bouffon naïf et sensible qui nous a tant fait tordre de rire?

- Veber a la barre - 

Evidemment, cette nouvelle version de L’Emmerdeur ne peut pas échapper à la comparaison avec celle de Molinaro, devenu un classique de la comédie. Rappelons, avant toute chose, qu'au delà du scénario (qui s'amuse à prendre quelques libertés bienvenues) les deux oeuvres ont pour point commun, d'avoir été écrit par Francis Veber. S'étant contenté du rôle de scénariste en 1973, il décide aujourd’hui de porter également la casquette de réalisateur, fier de sa douzaine de réalisations passées. Après tout, qui d’autre que l’auteur d’une histoire peut le mieux se la réapproprier ?

Ne répondez pas tout de suite car la réponse n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît. Car si l’auteur reste indubitablement le créateur d’une histoire, il n’en est plus, une fois celle-ci connue de tous, le propriétaire. Ainsi, si vous faites partie des très nombreux spectateurs à avoir vu et revu L’Emmerdeur version Molinaro, vous éprouverez sans doute une certaine déception à la vue de cet Emmerdeur façon Veber. Pour les autres, les avis seront bien sûr partagés. N’attendez cependant rien de nouveau de cette collaboration du trio Veber-Timsit-Berry. Explications.

- un pignon peu convaincant -

Pour ce nouveau film, Francis Veber use rapidement des éléments qui ont fait la réussite de l’un de ses plus gros cartons au box-office, le bien-nommé Le Dîner De Cons : un huis clos, un duo comique et des quiproquos à la pelle. Il est vrai que les deux œuvres ont d’abord eu une vie menée tambours battants au théâtre avant d’entamer une carrière au cinéma. Il est sans doute difficile de se détacher d'une pièce à succès lorsque celle-ci, jouée des centaines de fois, vous imprègne de la tête aux pieds.

Cependant, là où Molinaro comptait plus sur le jeu de ses acteurs pour faire rire ou émouvoir que sur la situation dans laquelle ils se trouvent, Veber fait l’inverse. Les circonstances, rocambolesques et fusantes, peuvent prêter à rire, bien qu’elles soient souvent convenues et marquées par un humour potache. Patrick Timsit est un Pignon peu convaincant, dont l’inspiration est visiblement tirée du Pignon de Pierre Richard. Peut-être intimidé par le poids des interprétations passées, il ne semble pas avoir trouvé le ton juste et personnel qui aurait fait de son personnage «son» Pignon et non celui d’un autre. Ce n’est pas faute pourtant de l’avoir interprété de nombreuses fois au théâtre. Quant à Richard Berry, tueur du dimanche, il ne peut souffrir un seul instant la comparaison avec un Lino Ventura magistral.

- "c'etait mieux avant" -

Veber enchaînant les gags et quiproquos (certains hilarants, d'autres patauds) les uns après les autres, le rythme d cette comédie en devient trop soulevé, voir épuisant. Le réalisateur cherche à combler le moindre vide, quitte à employer de faibles prétextes. Le huis clos s'étouffe, comme l’avalanche de situations burlesques. On finit par regretter les temps morts, les silences et les longueurs de plans de L’Emmerdeur de 1973, qui insufflaient au film une certaine poésie. Sans oublier bien sûr les interprétations de Brel et Ventura, duo bien plus attachant et touchant que celui, clownesque, de Timsit et Berry. Si vous cherchez vraiment les emmerdes, imparables et intemporelles, je vous conseillerais plutôt d’aller voir dans les rayons DVD si la version de Molinaro n’y est pas … plutôt que de risquer de vous emmerder sur grand écran avec cette seconde mouture d'un L'Emmerdeur emmerdant et peu dispensable10/12/2008