- LA MALÉDICTION DE KATYN -

Dans la forêt russe de Katyn située près de Smolensk, des milliers de polonais ont été massacrés au printemps 1940 par les armées de Staline. Pendant de nombreuses années, l'URSS communiste a nié cette véritable éradication des élites polonaises. Ce n'est qu'en 1990 que Mikhaïl Gorbatchev a ouvert la voie de la réconciliation en reconnaissant le massacre.

Mercredi 7 avril 2010, le Premier ministre russe Vladimir Poutine et son homologue polonais, Donald Tusk, se rencontrent à Katyn pour rendre hommage aux victimes polonaises de la police secrète du NKVD. Poutine réclame l'indulgence des populations polonaises et demande de ne pas tenir pour responsable le peuple russe des crimes commis par le passé. Aujourd'hui, le Kremlin reconnaît ses fautes mais refuse de parler de génocide.

Dans la dynamique du réchauffement des relations entre la Russie et la Pologne, le Président polonais Lech Kaczynski est attendu trois jours plus tard, le samedi 10 avril 2010 au matin, sur les lieux de la commémoration du massacre de Katyn, afin de se recueillir sur les tombes des officiers. Destin ou malédiction ? Son avion, un Tupolev 154, s'écrase et prend feu après avoir heurté la cime des arbres, alors qu'il tentait pour la quatrième fois d'atterrir sur la piste de l'aéroport de Smolensk, malgré un refus de la tour de contrôle en raison de conditions climatiques désastreuses.

- L'INVRAISSEMBLABLE CRASH -

La nouvelle du crash, très rapidement relayée par les agences de presse du monde entier, est suivie de peu par une annonce qui sonne comme un coup de tonnerre : il n'y a aucun survivant parmi les quatre-vingt seize passagers. Le Président polonais et son épouse, ainsi que toutes les personnalités qui les accompagnaient ont donc trouvé la mort. Lorsque tombe l'annonce du décès de Lech Kaczynski à Katyn, 70 ans jour pour jour après une journée si funeste pour le peuple polonais, celui-ci, tétanisé, ne peut s'empêcher de parler de malédiction.

À peine le drame est-il annoncé, que des experts polonais et russes commencent à coopérer sur les lieux de l'accident afin de retrouver et examiner les boîtes noires de l'avion. Ceci fait, l'analyse des conversations entre les pilotes de l'avion présidentiel polonais et les aiguilleurs russes permet d'exclure la thèse d'un accident dû à un problème technique. Les services russes mettent aussitôt en cause les pilotes polonais, qui auraient refusé de suivre les conseils de la tour de contrôle : « Le pilote a été informé de conditions météorologiques compliquées mais a néanmoins pris la décision d'atterrir », déclare Alexandre Bastrykine du parquet général de Russie. Malgré l'épais brouillard qui rendait l'atterrissage difficile à Smolensk, les pilotes ont tout de même pris la décision de se poser, alors que la tour les aiguillait vers Minsk ou Moscou.

- LA POLOGNE DÉFIGURÉE -

En plus de pleurer son Président, la Pologne perd une partie de son exécutif, des représentants de plusieurs institutions étatiques, de l'armée et d'une partie du législatif. Le président de la Banque centrale polonaise, Slawomir Skrzypek, le vice-ministre des Affaires étrangères, Andrzej Kremer, quatorze députés et sénateurs sont morts ce samedi 10 avril aux côtés de Lech Kaczynskil, provoquant une véritable saignée politique.

L'armée a également été frappée : les généraux Franciszek Gagor, chef d'état-major, Tadeusz Buk, chef de l'armée de terre, Andrzej Blasik, chef des forces aériennes, faisaient, entre autres, parties des victimes du crash.

- Lech Kaczynski, retour sur un destin -

Il était peu connu des français, le Président Lech Kaczynski était né le 18 juin 1949 à Varsovie. Fondateur du parti Droit et Justice, il est élu Président de la République de Pologne en décembre 2005, avec 54 % des voix. Avec son frère jumeau, Jarosław, qui deviendra son Premier ministre, Lech Kaczynski était un activiste pro-démocratique et anti-communiste en Pologne, alors sous autorité soviétique. Férocement anti-communistes, les jumeaux Kaczynski ont été très critiqués avec l'élaboration de la loi de "lustration", qui vise à purger l'administration publique des anciens collaborateurs des services secrets communistes.

Le tandem atypique qu'il formait avec son frère et l'"euroscepticisme" qui le caractérisait ont parfois fait grincer des dents l'Union Européenne, tout comme ses opinions tranchées et parfois très conservatrices. Son hostilité envers les homosexuels et sa farouche opposition à l'avortement lui ont valu de nombreuses critiques. Son décès soudain semble cependant avoir provisoirement effacé l'ardoise, c'est donc un grand homme que la communauté internationale et surtout la nation polonaise pleurent .

Le Président Lech Kaczynski est décédé alors que la fin de son mandat approchait. Il n'était d'ailleurs pas favori pour les présidentielles de 2010.

- LA POLOGNE ENDEUILLÉe -

Suite à ce drame qui a ému et pris de court tout un pays, une semaine de deuil national a été décrétée. Des milliers de personnes se sont également rassemblées, tout au long de la journée de dimanche, devant le palais présidentiel, y déposant des gerbes de fleurs, des bougies et des portraits des disparus. Il aura fallu deux heures à la dépouille de Lech Kaczinski, rapatriée dimanche, pour traverser les dix kilomètres qui séparent l'aéroport du palais présidentiel.

Le cortège a effectué un voyage interminable au son de la 'Marche Funèbre' de Frédéric Chopin. Tout le long du chemin s'était massés des milliers de personnes dont les larmes exprimaient la détresse. Ils étaient nombreux ces polonais, au visage humide et à la main tremblante, à s'être levés tôt pour signer l'un des registres de condoléances au Palais présidentiel. Pour ceux qui n'ont pas pu rendre hommage par la plume, deux minutes de silence ont été observées dimanche midi dans tous le pays.

Ancien chef de file du syndicat Solidarnosc et ancien chef de l'État polonais, Lech Walesa, s'est dit très touché par ces disparitions. Malgré les désaccords, il a rendu un vibrant hommage au Président décédé, déclarant « nous avons œuvré ensemble pour édifier la démocratie polonaise ».

- LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE UNANIME -

Les réactions ont été très nombreuses à l'étranger. Le premier ministre russe Vladimir Poutine, et l'ambassadeur polonais en Russie Jerzy Bahr ont déposé des roses rouge devant le cercueil du Président polonais avant le rapatriement de son corps. Le président russe Dmitri Medvedev a également présenté ses condoléances à la nation polonaise samedi soir dans un message télévisé et a décrété une journée de deuil lundi dans toute la Russie.

PArmi les messages de condoléances adressés par la communauté internationale, Barack Obama a estimé qu'il s'agissait d'un drame « épouvantable pour la Pologne, les Etats-Unis et le monde », alors que Nicolas Sarkozy a manifesté sa « très grande émotion ».

- Les QUESTIONS DE LA SUCCESSION-

Malgré la vive émotion, la plupart des polonais ont ouvert lundi magasins, bureaux et agences, car la frêle situation économique du pays n'autorise pas l'arrêt de la consommation.

Initialement prévues pour octobre 2010, les élections présidentielles vont se tenir de façon anticipée. Selon la Constitution polonaise, la date des élections doit être fixée dans les deux semaines et les élections avoir lieu dans les deux mois, juin semblant le mois le plus probable.

En attendant, c'est Bronislaw Komorowski, président de la chambre basse du parlement polonais, qui assurera les fonctions de chef de l'État. Les députés disparus, élus par un scrutin de liste, seront remplacés sans organiser de nouvelles élections, les sénateurs le seront vraisemblablement par des élections partielles.

Les véritables enjeux se situent désormais au niveau des successions à la tête des partis politiques. Il faut rappeler, en effet, qu'avec le président du parti Droit et Justice, est également décédé le candidat de la gauche post-communiste, Jerzy Szmajdzinski. Quant au frère jumeau de Lech Kaczinsk, il semble, en ce qui concerne son parti, tout indiqué pour le remplacer.

De nouvelles stratégies politiques vont rapidement être mises en place par une élite touchée au cœur.Il faut souhaiter que cette tragédie n'altère pas les relations russo-polonaises, en bonne voie de réchauffement avant le drame.

   - QUELLES RELATIONS AVEC LA RUSSIE ? -

Au final, les condoléances russes suffiront-elles à maintenir les nouveaux liens tissés entre les deux pays ? Certains polonais voient déjà à travers ce séisme, l'ombre du KGB flotter au dessus des débris de l'avion. Une fois l'émotion passée, il faut s'attendre à ce que l'attention se porte vers les résultats très attendus d'une enquête sous haute surveillance  Quoiqu'il en soit, le soixante-dizième anniversaire du massacre de katyn, va marquer le paysage politique polonais et un peuple déjà fortement éprouvé de façon indélébile.13/04/2010