Infos et agenda

 

Romans, littérature, biographies,

essais...

 

Les ouvrages illustrés

 

Rencontres et interviews

 

Dossiers et reportages

 

La page des livres et revues épuisées

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DANS LA VILLE DES VEUVES INTRÉPIDES

 

 

-de James Cañón, éd. Belfond,
384 p - 21€

Sorti discrètement en mars dernier, ce livre étonnant et jubilatoire bénéficie d’une seconde chance en librairie après avoir reçu le prix du Premier Roman étranger 2008. Son titre est déjà tout un programme. Originalité romanesque, fantaisie, humour… Dans la lignée de Garcia Marquez, son compatriote, James Cañón raconte l’histoire extraordinaire d’un village de femmes, en Colombie. Truculent ou dramatique, son récit ouvre aussi une voie philosophique et politique, celle de l’utopie.

en librairie depuis le 06/03/2008

- par Frédéric VIAUX -

 

- bienvenue à Mariquita -

15 novembre 1992. Une journée comme les autres à Mariquita. Alors que le prêtre célèbre à sa façon l’office des matines, les marchandes, sur la place du village, vendent de la gelée de pied de veau et des cassettes piratées de Thriller, de Michael Jackson. Quelques ivrognes finissent leur nuit dans les rues, au milieu des chiens errants, tandis que les derniers clients du bordel rentrent chez eux. Mais voilà que débarque une énième bande de guérilleros, engagés dans une énième guerre civile. Après avoir réclamé, sans grand succès, le soutien de la population locale, les combattants effectuent un recrutement musclé des hommes du village et exécutent les récalcitrants.

En quelques heures, Mariquita voit donc disparaître la gent masculine, à l’exception de quelques garçonnets, d’un homosexuel et d’un prêtre. Rosalba, la veuve du brigadier, devient maire, avec l’ambition de refonder un village «bien meilleur que ce que les hommes ont jamais pu créer». Mais la tâche s’annonce difficile…

- l’art du portrait -

L’un des charmes de ce savoureux roman réside dans sa «galerie» de portraits, hauts en couleurs, piquants ou tendres, drôles ou émouvants. Sur une première moitié du livre, l’auteur fait avancer son récit au fil des présentations de quelques figures du village. On fait ainsi la connaissance de Magnolia Morales, qui a quelques soucis avec la pilosité exubérante de son visage («les poils – comme les guérillas – revenaient obstinément»). Ou encore de sa sœur, Gardenia, dont le parfum ne tient pas les promesses de son nom, puisqu’elle exsude des effluves fétides chaque fois qu’elle est contrariée ou énervée. Le petit frère, Julio, est quant à lui devenu Julia depuis qu’il a dû enfiler une robe pour éviter d’être emmené par les guérilleros… L’auteur se régale visiblement de ces portraits, plus ou moins longs. Il croque ses personnages avec appétit et attise, de page en page, notre gourmandise.

- le burlesque et le tragique -

Autre qualité de ce livre : un curieux mélange d’aventures burlesques et de récits tragiques. Tout en développant avec une certaine ironie l’histoire des femmes de Mariquita, au rythme des décrets excentriques et capricieux de la première magistrate, James Cañón distille à intervalles réguliers des textes courts, isolés. Des récits dans le récit qui n’ont qu’un seul sujet : la guerre civile et ses horreurs. Témoignage d’un enfant-soldat, d’un colonel de l’armée régulière, de paramilitaires, de guérilleros… Évocation de pulsions meurtrières, d’exécutions, de langues tranchées… C’est aussi ça l’histoire de la Colombie. Une histoire nationale que l’institutrice de Mariquita refuse d’enseigner à ses élèves. Le ton de ces intermèdes est sobre, le style dépouillé, la concision percutante. On est loin du «réalisme magique» qui caractérise souvent la littérature sud-américaine.

Deux univers s’entremêlent ainsi et se répondent. Féminin et masculin. Léger et grave. Lorsqu’ils se rejoignent, cela crée des images fortes et déroutantes, comme celle de cet ancien guérillero borgne, qui pleure de joie, «les larmes ruisselant de son œil unique»

- le religieux et le sexuel -

Le thème religieux est ici omniprésent. Fortement ancrés dans les mœurs et les traditions colombiennes, la religion catholique et ses rites, plus ou moins respectés, imprègnent le quotidien des villageoises. Dans ce contexte, l’auteur fait preuve d’une imagination débridée, baroque, en associant la symbolique religieuse à des thématiques sexuelles. Une association détonante. Ainsi la tenancière du bordel partage-t-elle un repas d’adieu avec ses douze «filles» au cours d’une scène qui n’est pas sans faire écho à… la cène. De son côté, le prêtre a des idées pas très catholiques pour assurer le renouvellement des générations. Et les garçons du village sont victimes d’un étrange fléau qui les touche dans leur virilité. Ce sont les «Plaies de Mariquita»… James Cañón s’amuse par ailleurs à lever le tabou des amours féminines dans cette société puritaine et à développer le mythe platonicien de l’hermaphrodite.

- une utopie féministe -

Ce n’est pas la moindre des audaces de ce roman que de s’aventurer sur les chemins de l’utopie. Un genre littéraire et philosophique guère pratiqué de nos jours, Fénelon et Voltaire, entre autres, lui ayant déjà donné ses lettres de noblesse. À partir d’un village dépeuplé, désorganisé, affamé, l’écrivain imagine une organisation sociale et économique collectiviste, où «personne n’est propriétaire de rien car tout le monde est propriétaire de tout». Une utopie communiste. Une « démocratie participative globale ». Mais aussi, et surtout, une société constituée d’Amazones d’un genre nouveau, qui vivent nues pour la plupart et qui ont inventé leur propre mesure du temps, basé sur les menstruations !

James Cañón idéalise un monde féminin, ou du moins gouverné par des femmes, seules capables, selon lui, de cultiver harmonie, tolérance et amour. Son roman se conclut sur une vision idyllique et béate, portée par une émotion et un espoir que d’aucuns trouveront naïfs. Petit bémol à cette œuvre formidable.

- premier coup de maître -

En mentionnant Cent Ans De Solitude comme livre de chevet d’un de ses personnages, l’auteur rend hommage à Garcia Marquez, tout en lui faisant honneur grâce à un récit foisonnant et maîtrisé, qui a nécessité cinq de travail. Le résultat est inventif, brillant, captivant d’un bout à l’autre. Et la richesse thématique, rare, évite l’écueil du fourre-tout que l’on remarque dans de nombreux premiers romans. Ce jeune écrivain colombien a bien du talent. Puisse-t-il nous enchanter autant dans ses prochains romans30/12/2008

 

- James Cañón -

 

 

 

 

©CULTURCLUB.COM - Toute reproduction strictement interdite sans accord