- Le « réseau Vergès » -

La clandestinité lui a certainement appris la discrétion, mais elle n’exclut pas les coups d’éclats médiatiques, très contrôlés malgré les apparences. Quant à son franc parler et ses bons mots, ils pourraient faire croire au néophyte qu’il à affaire à quelqu’un d’entier, sans surprises, hormis celles qu’il réserve aux salles d’audience. Il n’en est rien évidemment car Me Vergès est un as du subterfuge.

Et c’est là que le personnage apparaît encore plus troublant. Les liens qu’il entretient avec des terroristes avérés (comme Carlos, coupable de nombreux attentats et meurtres, mais aussi de la prise d’otages de 11 ministres de l'OPEP à Vienne en 1975), des groupes armés révolutionnaires (les Khmers Rouges, palestiniens…), des chefs d’états africains considérés comme des dictateurs (Moïse Tshombé au Congo, assassin présumé de Patrice Lumumba, Blaise Compaoré au Burkina Faso, à l’origine du coup d’état de 1987…), des financiers aux rapports étroits avec des organisations armées (tel François Genoud) en font un homme de l’ombre que la surmédiatisation n’empêche pas d’agir.

De plus et parce qu’il navigue dans les hautes sphères depuis le début des années 1950, Vergès reste l’ami de nombreux puissants, chefs d’état en place ou destitués, ministres, leaders politiques... Il en est ainsi pour Khieu Samphan, ancien président du régime des Khmers Rouges, ou encore du président actuel de l’Algérie, Bouteflika, qu’il a connu en exil, sous un autre nom. Des amis, des « connexions », Vergès en a à foison et si l’on dresse parallèlement une liste de ses ennemis, on doit avoir une vision assez globale des personnes exerçant un pouvoir avéré ou implicite sur l’ensemble de la planète, tant son réseau est étendu et imbriqué au plus haut niveau.

Vergès est un homme fidèle à sa pensée et à ses amis. Une actualité récente, qui nous fait faire un bond dans le temps d’une cinquantaine d’années, nous en donne un exemple, parmi de nombreux autres. A l’époque, jeune étudiant, il rencontre Saloth Tar, futur Pol Pot, dirigeant du régime des Khmers Rouges, qui sera accusé, bien plus tard, d’avoir causé un génocide ayant mené à près de deux millions de morts. C’est par le biais de leurs engagements communistes que les deux hommes se seraient connus. Retour en 2009 ou le TPI est en passe de juger l’un des bras droits de Pol Pot, le frère Khmer Khieu Samphan, arrêté le 19 novembre 2007, président du Kampuchea démocratique (Cambodge) de 1976 à 1979, accusé de crime contre l’humanité par cette institution contestée. Il est évidemment défendu par… Jacques Vergès. Lors des premières audiences devant mener au procès, le ténor du barreau à notoriété mondiale a déplacé les feux des projecteurs sur sa personne en dénonçant, avec succès, un important vice de forme

- Les guerres secrètes de Vergès -

Le moins que l’on puisse dire c’est que l’« avocat de la terreur » est au cœur d’affaires qui divisent. Beaucoup le soupçonnent d’avoir franchi la ligne jaune et d’avoir parfois outrepassé sa fonction d’avocat. Ainsi, en 1982, l’Express publie un rapport des Renseignements Généraux français qui tend à démontrer que Maître Vergès, via une société fiduciaire basée en Suisse, aurait couvert une opération financière douteuse. L’hebdomadaire assurait que cette opération visait à financer le groupe Action Directe (groupe « communiste libertaire », accusé de terrorisme par l’Etat français, et qui se révèlera notamment coupable de l’assassinat de Georges Besse, PDG de la régie de Renault en 1986) à hauteur de 60 millions de francs de l’époque, par l’intermédiaire d’une filiale du groupe industriel Findus, dans le cadre de la construction d’un complexe de pêcheries et conserveries sur l’Île Maurice…

De nombreux documents de la Stasi (le service de police politique, de renseignements, d'espionnage et de contre-espionnage du régime communiste de la République démocratique allemande), qui enquêtait sur le réseau de Carlos, établissent que sous le pseudonyme de « Gabriel Herzog », Jacques Vergès était en relation constante avec Carlos et ses proches. Il aurait assuré un soutien logistique et de communication pour l’équipe.

Malgré le fait qu’il aie fait l’objet d’une surveillance rapprochée de la part de nombreux services secrets (DST, DGSE, STASI,…), il a toujours continué à entretenir ce réseau et nul n’a jamais pu le « coincer ». On a tenté de le compromettre : sans succès. Son assassinat a de nouveau été envisagé, mais une fois encore Vergès est passé entre les mailles du filet. D’après le témoignage du capitaine Paul Barril, agent du GIGN au début des années 80, Jacques Vergès « était au centre de tous les réseaux terroristes », notamment le réseau de Carlos, et Barril avait reçu l’ordre de l’éliminer. Sans rancune, l’avocat assurera des années plus tard la défense de cet homme qui avait pour mission de le tuer à l’étranger.

- Un personnage contrasté -

Ses rapports parfois étroits avec des personnalités aux allures d’ennemis publics numéro un, nous amènent naturellement à nous interroger sur les motivations, les objectifs poursuivis par un homme qui n’a eu de cesse de brouiller les pistes tout au long de sa vie. Nous interroger aussi sur l’intégrité de quelqu’un qui a fait du grand écart sa spécialité, défendant aussi bien Omar Raddad, jardinier marocain victime d’erreur judiciaire, que Klaus Barbie, nazi sadique mêlé à de nombreuses atrocités.

Plus on se documente sur Jacques Vergès, plus l’impression qu’il laisse est étrange. Pas étonnant alors qu’il suscite encore et toujours consternation, révolte, incompréhension mais aussi fascination, respect et admiration. Vergès c’est l’équilibre du bien et du mal et donc, tel qu’il aime à le définir avec la lucidité et le refus d’hypocrisie qui le caractérisent, un homme avant tout, ni tout noir, ni tout blanc. C’est ce mélange de transparence et d’opacité qui en font un des personnages les plus fascinants de ces 50 dernières années19/11/2009